Débattre des conditions de travail à l’aide des données socio-démographiques. Le cas d’une entreprise agro-alimentaire

Charles Parmentier, chargé de mission Anact – département Expérimentations Développement Outils et Méthodes

Didier Garros, chargé de mission Aravis

Vincent Lengowski, chargé de mission CESTP-Picardie

Le recours aux données démographiques est fréquent en entreprise. Les bilans sociaux font état de certaines caractéristiques des salariés : âge, sexe et ancienneté, etc. Toutefois, ces données sont rarement confrontées à une analyse du travail et de ses conditions de réalisation. Il est vrai que le croisement des données avec les réalités du travail n’est pas toujours aisé. Il faut collecter l’information, procéder à un diagnostic des situations particulières de travail. Pourtant, ce croisement est susceptible de permettre aux acteurs de l’entreprise d’accéder à une compréhension inédite des phénomènes organisationnels. L’entreprise peut remettre en question certains de ses modes de fonctionnement. Cette possibilité est illustrée dans cet article par l’application d’une méthode d’analyse socio-démographique dans un abattoir. Les conditions physiques de travail n’expliquent pas tout et, à côté d’une pénibilité qui semble inhérente aux postes de travail, s’observent des choix managériaux décisifs tant en termes de reconnaissance que d’organisation des parcours des salariés. L’objectivation de ceux-ci permet aux acteurs sociaux de s’emparer de la question pour tenter de limiter les effets du turn over.

Comment traiter le plus objectivement possible de la situation d’une entreprise, de ses pratiques de recrutement et de gestion des parcours tout en permettant une discussion élargie de ces questions entre les salariés, les acteurs sociaux et le management ? Le réseau Anact-Aract a développé une méthode d’analyse des données socio-démographiques issue des travaux sur la démographie du travail (A.-F. Molinié et S. Volkoff, 2002). Cette méthode, par le croisement des données démographiques avec les conditions du travail, est un révélateur potentiel de l’influence des choix organisationnels sur le parcours des salariés. Nous présentons un exemple d’usage de cette méthode réalisé dans un abattoir dans lequel la mobilisation des données démographiques a permis de faire évoluer un certain nombre de représentations partagées par de nombreux acteurs sur les motifs qui conduisaient les salariés à quitter précocement l’entreprise. Ce turn over élevé était expliqué par les raisons suivantes :

  1. Les conditions de travail sont dures mais inhérentes au métier. Il n’est donc pas possible d’améliorer la situation, il n’y a aucune Dans ces conditions, il est normal que ceux qui éprouvent des difficultés partent avant l’âge de la retraite et que l’ancienneté dans l’entreprise reste faible.
  2. Du point de vue générationnel, la pénibilité du métier laisse penser que seuls les plus anciens, habitués à ” travailler dur ”, motivés et forgés par leur expérience constituent le noyau central des effectifs. Les jeunes sont considérés comme peu motivés et moins résistants. Ils ne restent pas aussi longtemps qu’il faudrait dans l’entreprise.

Ces représentations, qui ne s’appuyaient sur rien de vérifiable, ont pu être déconstruites par l’analyse socio-démographique et la discussion qui a suivi la présentation à la direction, au CE et au CHSCT, de données objectives. À la suite des observations de situations de travail et la réunion de deux groupes de travail (avec des manageurs et des salariés), l’entreprise a pu réfléchir à la mise en œuvre d’actions correctives liées à l’organisation du travail et aux processus d’intégration des nouveaux arrivants.

Âge et travail : l’influence déterminante des conditions de travail

Dès les années 1950, des psychologues du travail anglais ont proposé d’étudier les structures d’âge des salariés des principales branches d’activité pour en tirer des hypothèses sur les conditions de travail rencontrées (Welford, 1958). Une quinzaine d’années plus tard, J.M. Smith (1973) a réalisé une étude fine sur les liens existant entre structures démographiques et activités de travail, en prenant comme base les données des recensements professionnels anglais de 1961 et 1966 dans 183 secteurs d’activité. Il a construit ses travaux en mettant à l’épreuve deux scénarios appelés ” hypothèse H ” (comme histoire) et ” hypothèse A” (comme âge). L’hypothèse H soutient que les conditions de travail ont peu d’impacts sur l’âge des salariés et que les structures d’âge évoluent naturellement avec le temps par le vieillissement des salariés. L’hypothèse A soutient que les structures d’âge sont le reflet de l’exposition des salariés à des contraintes fortes et qu’un effet sélectif s’opère par le rajeunissement continu des salariés. Selon ce dernier scénario, les structures d’âge évoluent peu dans le temps, de nouveaux embauchés remplaçant les salariés plus anciens dont l’état de santé se dégrade. Smith a constaté que les résultats étaient plus proches de l’hypothèse H pour 133 professions, et plus proches de l’hypothèse A pour les 50 autres, dont le caractère statique des structures d’âge semblait indiquer une pénibilité plus forte.

En France, le CREAPT 1 et l’Anact, reprennent et développent ces travaux (Molinié, 1993) en analysant les structures d’âge des entreprises et leurs évolutions. Ces analyses permettent de comprendre comment s’élaborent, pendant des périodes plus ou moins longues, les caractéristiques des salariés rencontrées et éclairent les liens entre les conditions de travail, les modes de gestion des ressources humaines, la santé des salariés et les parcours professionnels. Cette ” démographie du travail ” montre comment s’opèrent les processus de sélection liés à l’âge et comment les entreprises peuvent les pallier en dirigeant les salariés vers d’autres secteurs de l’entreprise. Les salariés d’une entreprise sont recrutés à des âges différents en fonction des activités auxquelles ils sont affectés et lorsqu’ils avancent en âge, ils ” quittent ” éventuellement cette activité, en raison de leur vieillissement physique ou cognitif. On observe que d’autres services, parfois dans la même entreprise, ” accueillent” ces salariés et les maintiennent en emploi. Ainsi, dans certains cas, il est possible de constater un transfert progressif des salariés des activités les plus exigeantes vers des activités a priori plus compatibles avec leur état de santé.

Ces constats ont conduit les chercheurs à s’interroger sur les conditions dans lesquelles ces processus de sélection par l’âge s’opéraient. En effet, les liens entre vieillissement et travail sont très variables et ne dépendent pas seulement de la nature de l’activité et des contraintes qu’elle présente. D’une part, des dispositifs peuvent être mis en place pour permettre aux salariés de  poursuivre une activité, en atténuant les effets du vieillissement (adaptation des postes de travail, de la répartition des tâches, acquisition de nouvelles compétences), et d’autre part, des facteurs indépendants des contraintes de l’activité peuvent expliquer ces processus de sélection (les modes de recrutement et de gestion des ressources humaines, etc.).

UN ABATTOIR AUX DES CONDITIONS DE TRAVAIL DIFFICILES PRÉSENTÉES COMME ” INHÉRENTES AU MÉTIER ”

L’entreprise appartient au secteur agroalimentaire (abattage, découpe et conditionnement de viande de bœuf) et est située dans une ville de taille moyenne. La direction des ressources humaines sollicite une intervention dans le cadre de la négociation d’un accord ” contrat de génération” pour élaborer un diagnostic et un plan d’action. La direction des ressources humaines (DRH) souhaite mettre à profit cette démarche pour faciliter les recrutements et conserver plus longtemps les salariés. Jusqu’à présent, les départs fréquents étaient compensés par des arrivées de nouveaux embauchés ; mais depuis quelques mois, le recrutement devient plus difficile. Cette situation nouvelle conduit l’entreprise, et notamment la direction des ressources humaines, à s’interroger sur les raisons qui poussent les salariés à quitter l’entreprise, et sur les moyens à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de travail. Pour le DRH, les autres membres de la direction ne sont pas prêts à s’investir sur ce champ, dans la mesure où ils pensent que les activités d’abattage et de découpe souffrent d’un manque d’attractivité, et que les conditions de travail ” dures” sont inhérentes à ces métiers et ne peuvent être transformées.

L’établissement compte 280 salariés et appartient à un groupe qui emploie près de 1000 personnes réparties sur huit établissements. Il est confronté à des problèmes de recrutement (associé à un problème d’attractivité) et de pénibilité qui semblent se manifester par des départs précoces et     une faible proportion de salariés âgés. L’activité de traitement de la viande de bœuf présente un contexte de travail spécifique : des odeurs moins désagréables (en comparaison avec l’abattage       de porc) mais des pièces de viande très lourdes. Une période de séchage est nécessaire avant         la découpe et le conditionnement. L’abattoir se répartit en trois unités principales : l’abattage, la découpe et le conditionnement.

La chaîne d’abattage commence à 4h30 et se termine à 13 heures. La découpe débute à 5h30 avec des pièces de viande qui ont nécessité des temps de séchage préalables. De prime abord, et pour des raisons d’expédition à la clientèle, il semble y avoir peu de marges de manœuvre en matière d’organisation.

La réalisation d’un diagnostic socio-démographique a été l’occasion de proposer à cette entreprise de passer d’une conception de la pénibilité apparemment inhérente au métier à de nouveaux choix en termes d’organisation et de management ?

L’INTERVENTION ET L’OUTILLAGE PROPOSÉ

  • Première étape : le croisement et l’analyse des données socio-démographiques

 Le recours au modèle d’analyse des données développé par le réseau Anact-Aract est mobilisé   ici (voir encadré II). Les données d’analyses socio-démographiques issues des fichiers du personnel peuvent être mobilisées pour mettre en lumière les liens entre conditions de travail, santé et parcours professionnels. Ces données sont croisées pour obtenir une ” photographie” de la situation de l’entreprise.

Après avoir sélectionné les analyses les plus pertinentes et les plus ” parlantes ” du point de vue des conditions de travail, nous les avons présentées et discutées dans deux groupes de travail réunissant dans un premier groupe des représentants des salariés et de la direction des ressources humaines, dans un second groupe, l’encadrement de la production et la direction des ressources humaines également. Le médecin du travail a participé aux deux groupes. Les éléments présentés illustrent ce que la discussion autour de ces données a produit et comment les acteurs de l’entreprise s’en sont saisis pour engager des transformations des conditions de travail.

  • Deuxième étape : la ” mise en débat ” des résultats

Les structures d’âges et d’ancienneté mettent en évidence deux choses : sur un effectif de 280 salariés, il y a 74 salariés de plus de 45 ans dont 14 de 55 ans et plus. Par ailleurs, la majorité des salariés présents dans l’entreprise a moins de 6 ans d’ancienneté, et l’on observe une ” érosion” régulière du nombre de salariés à mesure que le nombre d’années d’ancienneté augmente.

Le modèle d’analyse socio-démographique du réseau Anact-Aract

Les salariés d’une entreprise rencontrent des conditions de travail particulières. Avec le temps, ces conditions de travail produisent des effets sur la santé et les parcours, qui se manifestent   par divers phénomènes : absentéisme, accidents de travail, maladies professionnelles, turn-over, mobilités, etc.

Souvent, les acteurs se préoccupent de ces phénomènes lorsqu’ils nuisent à la bonne marche de l’entreprise ou lorsqu’ils représentent un coût.

Une analyse socio-démographique consiste à :

  1. Analyser les structures démographiques de l’entreprise et la répartition des salariés dans les différentes activités en fonction de leur âge, leur sexe et leur ancienneté. Cette première étape permet d’identifier s’il existe des liens entre l’âge et les activités réalisées, une répartition sexuée des activités, et combien de temps les salariés restent dans l’entreprise.

Exemples :
Dans quel service y a-t-il le plus de salariés âgés
?
Dans quel service les salariés ont-ils la plus grande ancienneté
?

  1. Analyser les liens existant entre les phénomènes observés (absentéisme, sinistralité, turn-over, mobilités internes, départs volontaires, etc.), l’activité et les conditions de travail. Sur la base des éléments disponibles dans les fichiers de données des entreprises, les conditions de travail sont distinguées autour de 3 axes :
    • les conditions d’emploi (nature du contrat et temps de travail, etc.) ;
    • les contraintes (horaires atypiques, relations avec des clients, astreintes, ) ;
    • les moyens d’évolution professionnelle (formation, promotions, ).

Exemples :
Dans quel service observe-t-on le plus de départs volontaires
?
Est-ce que les salariés qui travaillent en 3X8 ont un taux d’absentéisme plus élevé
?

L’intervenant doit définir avec les acteurs de l’entreprise les analyses qui paraissent les plus pertinentes en fonction des contextes.

  1. Compléter ces analyses avec d’autres éléments (observations, entretiens, questionnaires, recueil d’informations auprès du médecin du travail, ).
  2. ” Mettre en débat” les résultats qui permettent de faire des hypothèses sur les liens conditions de travail, santé et parcours dans l’entreprise.

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Sur la base de ces constats, nous avons soumis deux questions aux groupes de travail :

  • Est-il difficile, voire impossible, de travailler au-delà de 45 ans dans l’entreprise ? (et si oui, pour quelles raisons ?).
  • Pourquoi les salariés ne restent-ils pas plus longtemps dans l’entreprise ?

Premier enseignement de cette mise en débat : les motifs évoqués par la direction pour expliquer les départs précoces – les conditions de travail sont dures et exigeantes physiquement, ce qui conduirait les salariés à préférer un autre emploi dès qu’ils en ont l’opportunité –, n’expliquent pas complètement les raisons pour lesquelles les salariés quittent l’entreprise. Le groupe des salariés évoquent plutôt une absence de mobilité interne (” Il n’y a plus rien qui me fait rester, on est demandeur d’évoluer dans l’entreprise, moi j’aurais voulu tenir un couteau…”) et un manque de reconnaissance des efforts fournis pour honorer les commandes des clients (” On ne nous dit pas merci : vendredi on a fait une tonne en une demi-heure, on l’a fait, on n’a vu personne…”). Un exemple, cité à l’appui des ces constats, est le départ de certains salariés qui préfèrent aller travailler chez un prestataire de l’entreprise, pour faire la même activité avec des conditions d’emploi plus précaires mais une plus grande autonomie.

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Afin de mieux comprendre les processus qui conduisent les salariés à partir relativement tôt, nous avons poursuivi nos analyses en observant si ces départs précoces se faisaient de la même manière dans toutes les activités de l’entreprise. Cette analyse a été menée en observant l’ancienneté moyenne lors du départ des salariés embauchés en CDI, et dans les différents services.

Nous observons (voir tableau 3) que selon l’activité, les salariés ne restent pas aussi longtemps dans l’entreprise, avec un écart important entre les deux principaux services que sont la découpe et l’abattage : trois ans et demi en moyenne pour la découpe, dix ans en moyenne pour l’abattage.   Ainsi, le service dans lequel les salariés restent le plus longtemps est celui dans lequel les tâches   sont réputées être les plus dures physiquement et sont réalisées dans un environnement de travail a priori moins favorable (chaleur, bruit, travail en hauteur, etc.). Ces constats, nourris par une analyse des situations de travail et des entretiens conduits avec des salariés, confirment que les nombreux départs de salariés ne sont pas seulement liés à la pénibilité du travail, mais également aux modes de management et de gestion des parcours (” Il faudrait décloisonner les services, favoriser les passages de l’un à l’autre, on a l’impression que c’est deux entreprises différentes…”), beaucoup moins appréciés par les salariés dans un service que dans l’autre (” Nous, on ne nous laisse jamais choisir nos jours de récupération, c’est complètement arbitraire, alors qu’à l’abattoir ils peuvent s’organiser entre eux”).

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Les passerelles entre la découpe à l’abattage n’existent pas et ces deux services sont très cloisonnés pour des questions d’hygiène (parties froides et chaudes distinctes pour ne pas favoriser le développement de bactéries), et renforcées par des raisons managériales et culturelles. Ainsi, la possibilité de passer de l’un à l’autre service est très rarement proposée aux ouvriers et a même été refusée à certains qui en ont fait la demande. Ce blocage est débattu entre le DRH et les manageurs et montre qu’à la découpe, en particulier, la situation avec le management semble tendue et peu à même d’évoluer. Il s’avère ainsi qu’il y a peu marges de manœuvre par rapport aux horaires et que peu d’investissements ont été réalisés dans la réparation ou la maintenance du matériel.

Car les conditions de maintenance du matériel sont aussi évoquées : ” Cela ne m’étonne pas que     les gens ne restent pas longtemps en expédition… les roulettes des ” rolls ” sont foutues et personne ne les change. Il y a deux semaines, je m’en suis pris un sur le dos (200 kg), j’ai encore mal”, ouvrant d’autres pistes pour améliorer les conditions de travail.

Les échanges au sein des groupes de travail confirment donc bien que la pénibilité physique des activités, considérée comme inhérente au métier et difficilement aménageable, semble servir     ” d’alibi ” pour occulter des modes de gestion du personnel peu motivants et peu compatibles avec les objectifs de l’entreprise en matière de fidélisation des salariés. Cette ” révélation” déconstruit donc une représentation fortement ancrée dans l’entreprise et qui amenait la direction à ne pas chercher de marges de manœuvre autour d’alternatives organisationnelles et managériales.

2.3 Déconstruire les représentations sur les âges

Pour mieux comprendre encore, nous avons cherché à savoir comment les départs précoces de l’entreprise pouvaient s‘expliquer et nous avons ensuite analysé les motifs des départs des salariés (les embauchés en CDI) qui ont quitté l’entreprise ces douze dernières années. L’analyse révèle que sur l’ensemble des départs, plus des 2/3 s’expliquent par des sorties volontaires (démission ou départ lors de la période d’essai) et seulement 3 % des départs sont liés à la retraite (voir tableau V). Ces éléments ne sont pas surprenants au regard des autres données analysées, mais c’est ce qui   a fait prendre conscience à la direction et à l’équipe d’encadrement qu’en plus d’un problème d’attractivité et de recrutement, il y avait aussi un problème de ” fidélisation ” des salariés. De plus, en constatant que la grande majorité des départs s’expliquent par des départs volontaires à des âges relativement jeunes (32 ans en moyenne), l’équipe de direction de l’établissement réalise que des efforts pouvaient être faits pour essayer de garder plus longtemps les salariés qu’elle avait embauchés (” C’est sûr que si on faisait des efforts, ça pourrait changer. On en voit qui partent chez le prestataire, ça fait mal… On sait que c’est parce qu’on ne les a pas fait évoluer ”). L’un des enseignements de ces analyses est la lecture erronée qui était proposée de la structure des âges de l’entreprise : certes, il y a peu de salariés âgés, mais cela s’explique surtout par l’absence de salariés ” anciens”, la moitié des salariés embauchés en CDI ne restant pas plus de six ans. Si l’avancée en âge est un facteur expliquant le départ des salariés, les départs précoces s’observent quel que soit l’âge. Ce constat a fait évoluer les représentations de l’équipe de direction, qui a pris conscience que quel que soit l’âge d’arrivée, on ne reste pas longtemps dans l’entreprise. Ce n’est pas majoritairement le fait, comme ils le pensaient, de jeunes démotivés mais à cause de conditions de travail et de management problématiques.

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LES NOUVELLES PISTES D’ACTION DÉGAGÉES APRÈS LES DÉBATS

La mobilisation des données démographiques et sociales de l’entreprise a permis une évolution conséquente des représentations entre les différents acteurs par l’élaboration d’un ” diagnostic partagé ” et l’objectivation des situations de travail. L’enjeu central de cette analyse a consisté à montrer que les conditions de travail réputées peu favorables ne s’expliquaient pas uniquement par la nature de l’activité, mais aussi par des choix organisationnels et de gestion qui rendaient particulièrement peu attractifs certains services de l’entreprise. La mise en évidence des parcours professionnels dans l’entreprise par une analyse des données socio-démographiques ciblée a permis une prise de conscience des processus qui conduisent à des départs précoces à tous les âges. Depuis, l’entreprise a engagé plusieurs chantiers pour améliorer son attractivité et sa performance économique et sociale. Elle a ainsi réfléchi à l’évolution de ses modes d’intégration des nouveaux embauchés (par le tutorat, par exemple), à un renouvellement et une mise à disposition de supports pédagogiques pour favoriser les changements de postes (fiches), à l’arrêt des recours systématiques à l’intérim, à un accompagnement pour une évolution et une harmonisation de ses modes de management. Enfin, la mise en place d’une troisième équipe de découpe pour améliorer les horaires de travail et limiter le recours aux heures supplémentaires ainsi qu’un aménagement des postes les plus pénibles (suite à l’intervention d’un ergonome) ont été envisagés.


CONCLUSION

Cet exemple montre comment l’utilisation des données socio-démographiques peut transformer   la représentation que se font les acteurs de l’entreprise des conséquences de leurs pratiques de gestion des ressources humaines.

Une difficulté pour l’intervenant est de recueillir, analyser et sélectionner les données pertinentes. Le travail a été ici facilité par la coopération du service des ressources humaines et la qualité des fichiers de données du personnel auxquels nous avons eu accès (notamment le fichier des entrées et sorties du personnel ces douze dernières années).

La seconde difficulté est de transformer ces données en support de discussion avec les salariés de l’entreprise. Ce support a bien rempli son rôle et a permis un échange inédit sur les conditions de travail. La controverse qui en a résulté s’est avérée constructive et a permis d’expliciter les résultats d’analyse. Le sélection des résultats les plus probants (nous n’avons présenté que cinq résultats choisis parmi de nombreuses autres analyses réalisées) et les questions que nous avons posées dans les deux groupes de travail ont facilité l’expression des participants. Dans un contexte rendu ”favorable” par les difficultés croissantes de recrutement, cet espace de discussion a suscité un processus de prise de décision en faveur de l’amélioration des conditions travail pour permettre le maintien en emploi des salariés. La mise à disposition aux acteurs d’outils d’analyse des données,   et le débat autour des résultats produits, ont joué un rôle essentiel pour repenser l’organisation du travail et la gestion des ressources humaines de l’entreprise.

Note:

1 La création du Centre de recherches et d’études sur les âges et les populations au travail (CREAPT), en 1990, a lieu dans un contexte où le vieillissement de la population active préoccupe les pouvoirs publics en France et en Europe. Sa mission est de développer des connaissances sur les liens entre âge, conditions de travail et santé pour favoriser le maintien en emploi des seniors.

Bibliographie

Molinié, A.-F. et Volkoff, S. (2002), La démographie du travail pour anticiper le viellissement, Éditions de l’Anact.

Molinié, A.-F. (1993), ” Des secteurs et des âges”, in Population, n° 6.

Smith, J-M. (1973), ” Age and Occupation : the Determinants of Male Occupational Age Structure. Hypothesis H and Hypothesis A ”, in Journal of Gerontology, n° 28.

Welford A.T., (1958). Ageing and human skill, Nuffield Foundation, Oxford University Press.

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