Gratter toujours un peu plus

Le travail gratuit chez les coiffeurs

Laurent ERBS, docteur en histoire, maître de conférences

L’argent que les coiffeurs puisent directement dans la caisse de l’entreprise pour le soustraire au fisc est désigné par l’expression ”la gratte ”. La fraude est justifiée par le poids des différentes charges que supportent les salons de coiffure. Pourtant, certains chefs d’entreprises ont résorbé une charge devenue paradigmatique : celle du coût du travail. En effet, ils n’hésitent pas à employer de jeunes coiffeuses sans les rémunérer. Cette pratique illégale interroge : comment le travail gratuit est-il instauré dans un contexte réglementé par le droit du travail ? Une des clés de compréhension de ce mécanisme apparaît dans le dispositif de relation entre pouvoir et sujétion. En effet, il est mis en œuvre dans la situation de la jeune coiffeuse en attente d’un premier emploi, et un chef d’entreprise utilisant la promesse de l’hypothétique futur poste pour la faire travailler sans rémunération.

La ” gratte ” est le terme utilisé par les patrons-coiffeurs pour désigner l’argent qu’ils ponctionnent dans la caisse de l’entreprise pour en faire leur profit immédiat. L’opération devient possible grâce au paiement en espèces et échappe ainsi à toute écriture comptable. L’enjeu réel est de soustraire ce gain à un contrôle administratif quelconque en le maintenant dans la clandestinité. La fraude est justifiée par la pression fiscale, les charges diverses et la contrainte devenue paradigmatique, du ” coût du travail ” 1. Pourtant, certains patrons-coiffeurs ont résorbé ce dernier grâce à l’emploi de jeunes coiffeuses et sa transformation en ” gratte ” 2. Dès lors, cette transition semble contradictoire, et par conséquent, elle interroge sur les conditions de sa mise en œuvre. En effet, car si l’emploi est présenté par l’employeur comme un coût, et si la gratte reste un bénéfice illicite, la fusion des deux apparaît pour le moins préoccupante dans un contexte où la législation du travail a droit de cité. Adopter ce point de vue amène donc à déconstruire le dispositif qui conduit de la légalité à l’illégalité : comment obtient-on de faire travailler de la main-d’œuvre gratuitement, clandestinement, sans aucune protestation de sa part ? Les hypothèses suivantes fondent le propos soutenu dans ce texte. En premier lieu, les employeurs utilisent la promesse du contrat à durée indéterminée pour abuser de la situation – toujours d’actualité – de faiblesse sociale de jeunes coiffeuses à la recherche d’un premier travail (Ledrut, 1961 : p. 152-165). En second lieu, le contexte économique et social se prête à une telle manipulation car la ritournelle des difficultés d’accès à l’emploi pour les jeunes générations3 appartient désormais à ces lieux communs qui confortent l’idée selon laquelle un travail, quel qu’il soit, vaut mieux que pas de travail du tout (Ortlieb, 2012). Pour les coiffeuses, il sera concrétisé au sein d’un salon par un emploi permanent, répondant ainsi à des besoins socialement définis et codifiés (Gorz, 1997 : p. 14).

L’objectif de cet article est de montrer comment ce mécanisme frauduleux s’inscrit dans une perspective diachronique avec la successivité de situations, pour finalement révéler des pratiques convergentes chez des professionnels, renforcées par la sollicitation et l’engagement de leurs propres victimes. L’analyse de ce phénomène s’opère grâce à un corpus constitué par des séries d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de jeunes stagiaires 4 d’un centre de formation professionnelle 5, et de coiffeuses isolées 6. Le groupe social interrogé est essentiellement féminin 7. Il rappelle le lien entre la coiffure et la féminité (Bosse, Guégnard, 2007, p. 27-46). De ce fait, le point de vue examiné est celui de ces jeunes femmes. Les paramètres relationnels du terrain d’observation ont conduit à réaliser les entretiens à l’aide d’une grille d’intervention très générale pour réduire la distorsion découlant de la relation d’enquête, tout en préservant une distance à l’objet d’étude afin de conserver un regard critique. Ce choix parait le plus approprié pour comprendre l’expérience des personnes interrogées, afin de cerner les méthodes employées par les employeurs malhonnêtes, et leur pérennité.

L’ALLÉGORIE DE L’EMPLOI PERMANENT

Bien souvent, la confrontation de l’offre de son travail proposée par un jeune à la rareté d’une demande ne fait qu’aggraver les frustrations qui découlent de l’absence d’emploi. Selon l’analyse de la DARES 8, en 2012, le taux de chômage des 15-29 ans atteignait 18 % en moyenne . Aussi, l’obtention d’un entretien d’embauche constitue une première victoire à ce qui ressemble à un parcours du combattant pour un individu en quête d’un emploi. Les jeunes coiffeuses n’échappent pas à ce contexte concurrentiel et celui-ci devient l’instrument de patrons-coiffeurs peu scrupuleux qui l’utilisent volontiers en lui octroyant une dimension d’inquiétude supplémentaire. Dans la pratique, cette dernière est appuyée par des exigences particulières des employeurs – au demeurant potentiels à l’égard des coiffeuses postulant à un premier emploi. ” Faites cet effort, et (peut-être) aurez-vous cet emploi ! ” Tel est en substance le message formulé à leur intention. Les chefs d’entreprise veulent que les candidates à un emploi se ” donnent au travail ” au même titre que leurs salariés. La réalité montre que l’engagement demandé se traduit toujours par du travail effectué dans l’entreprise, mais systématiquement non rémunéré. David Courpasson qualifie cet engagement par ” enrôlement des subjectivités ” (Courpasson, 1997 : p. 53) car les individus se plient volontairement à cette contrainte en intégrant la sociodicée proposée par le chef d’entreprise, malgré sa filouterie. Ici, le pari est clair : l’acteur patronal joue sur la crainte des coiffeuses de ne pas obtenir le poste convoité.

Les récits des victimes de ces pratiques sont connus et identiques. Ils mettent en lumière des formes de travail gratuit que certains patrons-coiffeurs leur imposent. La première est issue de l’essai professionnel. En effet, celui-ci constitue une coutume professionnelle chez les coiffeurs. Cependant, il faut distinguer cette période probatoire de la période d’essai découlant de la conclusion d’un contrat de travail en termes de modalités d’exécution. Si la forme de l’examen scolaire est autorisée, l’essai sera bien sûr réalisé dans le cadre d’une prestation de service exécutée dans le salon de coiffure. L’épreuve mobilise une partie de la journée voire la journée entière au maximum. L’essai professionnel reste néanmoins encadré par la convention collective nationale de la coiffure 10. Le texte le définit en ces termes : il s’agit de vérifier et d’évaluer la qualification et l’aptitude du salarié à occuper l’emploi auquel il postule. Son organisation est laissée à la seule appréciation du chef d’entreprise. Lui seul dispose du pouvoir exclusif de décider du choix du jour, des horaires et   de la nature de l’épreuve d’essai. Le témoignage de Noémie est éloquent à ce propos 11. Venant d’obtenir son CAP, la jeune femme a été convoquée par un coiffeur renommé de Metz pour réaliser cette épreuve d’essai. Après une demi-journée passée au salon de coiffure, le propriétaire de l’entreprise lui a affirmé qu’elle correspondait exactement au profil du poste. Par conséquent, elle serait très rapidement informée de sa date d’embauche. Après quelques jours d’espoir et d’attente pour Noémie – le contrat de travail n’a-t-il donc pas été conclu ? 12 –, l’employeur lui a envoyé un message sur son téléphone portable lui proposant un nouvel essai. La coiffeuse lui a fait part de son étonnement pour finalement s’entendre dire ” qu’elle ne faisait pas l’affaire” 13.

Grâce à la facilité de sa mise en œuvre, l’essai professionnel peut être répété à l’infini. Et son détournement de sa finalité originelle complète d’autres pratiques toutes aussi malhonnêtes initiées par les aigrefins de la profession. Ainsi, les coiffeuses titulaires de contrats de professionnalisation en sont devenues des proies faciles. Ces jeunes femmes sont engagées dans un cursus de deux années   les préparant à l’obtention d’un Brevet professionnel 14. Par ailleurs, elles possèdent nécessairement un CAP voire une mention complémentaire, comme les 19 % des bénéficiaires d’un contrat de professionnalisation, toutes catégories professionnelles confondues 15. Introduit en 2004 (Askenazy, 2009 : p. 99-106), le contrat de professionnalisation (désormais CP) appartient aux dispositifs destinés à gérer le chômage et la précarité, en particulier chez les 16-25 ans (Roulleau-Berger 1993 : p.191- 209).. En 2011, les jeunes représentaient 81 % des entrées dans ce dispositif 16.

Les coiffeuses interrogées dans le cadre de cet article partagent leur emploi du temps hebdomadaire à raison d’une journée et demie dans un centre de formation, où leur sont dispensés cours théoriques et pratiques, et le reste de la semaine dans l’entreprise de leur employeur. La durée totale de travail hebdomadaire incluant la période de formation ne peut excéder la durée légale de travail. En effet, le titulaire d’un CP est un salarié. Par conséquent, la législation du travail lui demeure applicable. Pourtant, de nombreux employeurs contournent volontiers ces dispositions en allongeant délibérément la durée de travail sans aucune contrepartie financière. L’opération est plus ou moins habilement menée selon son initiateur. Les coiffeuses doivent affronter la version autoritaire ou subtile. Dans ce dernier cas de figure, Abel Arpazei, patron d’une chaîne de salons de coiffure de l’Est de la France, se distingue particulièrement 17. Le personnage dissimule la fraude sous un semblant de légalité. Ainsi, les coiffeuses sous le régime du CP sont ” invitées ”, avec forte insistance, à signer un document précisant qu’elles dépassent de quatre heures leur emploi du temps contractuel pour bénéficier d’une formation supplémentaire dispensée par l’employeur en personne. En guise de formation, la manœuvre d’intimidation dissimule en réalité quatre heures de travail hebdomadaire, non-rémunéré, effectué au sein du salon de coiffure.

Avec l’essai professionnel et les heures supplémentaires délibérément impayés, les employeurs instaurent une logique de la contrepartie ” emploi contre travail gratuit ”. Pourtant, aucune coiffeuse ne proteste, ni n’engage des poursuites judiciaires à l’encontre de l’employeur malhonnête. L’explication fournie est simple et reste toujours identique 18. Elle tient en l’espoir de la stabilisation d’une situation sociale grâce à l’obtention d’un CDI à court ou à moyen terme, pour finalement échapper au vide social découlant du chômage (Foucart, 2010, p. 7-12). Dans tous les cas, l’emploi pérenne représente une sorte de promesse de futur bien-être, signifiant une forme de sécurité dans la société, transcendée par la capacité de consommation et le pouvoir donné par la possession monétaire 19.

UN INÉPUISABLE RÉSERVOIR DE MAIN-D’ŒUVRE

Ce serait faire erreur de considérer que le terme du contrat de professionnalisation annonce systématiquement sa transformation en contrat de travail de droit commun 20. Bien au contraire, il replace les coiffeuses dans une situation de préoccupation : ” Vais-je trouver un autre travail ? 21 ” . Cette fin de toute possibilité de reconduction contractuelle est préméditée et délibérée, bien plus qu’elle ne paraisse dictée par de réelles difficultés économiques de l’entreprise, ou une quelconque inadéquation entre la titulaire du CP et le poste occupé. Katia fait écho de son expérience : ” Il ne me garde pas, mais embauche une autre BP 22 ” . Loin d’être unique, cette conclusion met un terme à deux années d’utilisation de main-d’œuvre à bon marché. En effet, le salaire de référence est le minimum légal. Ce dernier définit le montant de la paie pour un travailleur relevant du régime du contrat de professionnalisation. Les jeunes de moins de 21 ans perçoivent un salaire ne pouvant être inférieur à 55 % du SMIC. La paie pourra être valorisée jusqu’à 70 % du salaire minimum lorsque son titulaire atteindra 26 ans. À cette très faible rémunération s’ajoutent d’autres facilités pour les employeurs. Ainsi, ils bénéficient de réductions de cotisations patronales. Celles, dites ” Fillon ”, prévoient par exemple l’exonération des assurances sociales 23.

Avec la politique de gestion du personnel appliquée par les chefs d’entreprises, toutes circonstances restant égales, le contrat de professionnalisation n’apparaît plus seulement comme un transfert de savoir-faire ou de connaissance, mais bien d’un moyen permettant d’embaucher de la main-d’œuvre à moindre salaire. Dès lors, apparaît le visage de l’entrepreneur et son caractère ”d’idiot social”, tel qu’il est décrit par les économistes néo-classiques, ” seul avec son égoïsme, et guidé par la seule recherche de son intérêt personnel” (Plociniczak, 2003 : p. 441-476). Claire, une ancienne élève d’un lycée professionnel explique : ” Après l’obtention du CAP coiffure, neuf de mes camarades de classe recherchaient un patron” 24. Leur objectif était l’alternance car l’attrait du travail conserve la primauté sur le contexte scolaire. ” La coiffure est un métier fabuleux, artistique, qui touche à la mode” 25. L’image de ce travail portant sur l’embellissement du corps remonte   parfois à la socialisation ” comme fille ” au moment de la petite enfance (Court, 2007 : p. 97-110): ” Les petites filles jouent à la poupée pour faire des coiffures de princesse ”. Julie explique : ” Elles veulent toutes être coiffeuses ” 26.

Finalement, les amies de Claire eurent des réponses positives à leurs demandes. ” Après plusieurs recherches, sept d’entres-elles ont enfin trouvé des entreprises leur proposant une période d’essai non rémunéré pendant les vacances scolaires” 27. Les jeunes femmes ont toutes accepté sous l’effet d’une contrainte intérieure (Dumouchel, 2014 : p. 197-208) impulsée par le souhait de travailler. Claire conclut : ” Mais seulement trois d’entres-elles ont été recrutées” 28. Bien que l’on ignore les conditions de déroulement de la période d’essai à l’échelle individuelle, ses modalités d’exécution demeurent illicites dès la formation du rapport social. D’emblée, elles sont révélatrices d’un état d’esprit enclin à frauder.

En revanche, les débuts difficiles dans la coiffure sont confirmés par les études de l’INSEE 29. Déjà très élevé à la fin des années 1990 (Moreau, 2000, p. 67-86), le taux de chômage atteint actuellement 20 % dans ce secteur d’activité. Un quart des emplois le sont à temps partiel. À la fin de l’année   2011, on enregistrait un nombre de 37 000 coiffeurs au chômage, soit une progression de 12 % par rapport à l’année précédente 30. La concurrence dans la coiffure est extrêmement forte. Depuis les années 2000, le nombre d’établissements est en hausse alors que baissent le taux de valeur ajoutée et le profit 31. C’est pourquoi, les répercussions sur l’activité se font ressentir. La conjonction de ces phénomènes contribue à créer un surplus de main-d’œuvre sur un marché déjà en surproduction et dont le rythme d’activité dépend du pouvoir d’achat. Pour la Fédération nationale de la coiffure (FNC), la tendance des intentions d’embauche est à la baisse, et certains coiffeurs ont réduit les effectifs salariés pour les conduire au niveau de 2009 32. Pourtant, des centaines de coiffeurs sont formés chaque année dans les établissements scolaires et dans une pléthore d’écoles de coiffure privées 33, alors que la chute des taux d’emploi des titulaires de diplômes professionnels s’est encore aggravée en 2013 34. En conséquence, ces jeunes coiffeurs deviennent des surnuméraires pour un marché du travail qui ne peut les absorber. Et aux professionnels de la Fédération nationale de la coiffure de constater l’existence du chômage structurel : ” Il y a une inadéquation importante entre les demandeurs d’emploi inscrits en coiffure et leur employabilité, et ce décalage tend à s’amplifier 35”. Ce contexte d’emploi rare et de main-d’œuvre devenue excédentaire présente un intérêt pour les chefs d’entreprise. En effet, ils disposent d’un véritable réservoir dans lequel il n’y a qu’à puiser une force de travail prête à accepter parfois des conditions d’emploi et de travail exécrables voire hors- la-loi. Au XIXe siècle, Marx parlait de ” l’armée industrielle de réserve” pour évoquer cette ” matière humaine toujours exploitable, disponible et malléable à souhait ” (Marx, 2008 : p. 696). Dans un     tel contexte, le chômage devient alors un ” puissant moteur de consolidation de la domination” (Thévenin, 1994). Il est au fondement d’un rapport de pouvoir agissant en faveur de l’employeur. D’ailleurs, il n’est guère étonnant que celui-ci soit reconnu comme celui qui ” donne du travail ” 36. Cette vision du rapport salarial est largement entretenue auprès des jeunes coiffeuses dès leur formation. Ce déploiement de l’empathie à l’égard de l’employeur qui n’hésite pas à exposer ses difficultés, et en même temps l’intérêt qu’il y aurait à travailler pour lui, découle non seulement de la proximité sociale (Loriol, Sall, 2014 : p. 56-63), mais aussi d’un discours optimiste sur la valeur du travail inculqué dans les établissements scolaires. On y cultive volontiers l’esprit paternaliste qui demeure de rigueur dans le milieu professionnel de la coiffure où toute inégalité est déniée (Pinçon, 1985 : p. 95- 102), au motif qu’employeur et employés travaillent de concert au sein des petits salons de coiffure (Erbs, 2013 : p. 145-158).

CONCLUSION

L’adhésion des jeunes coiffeuses aux propositions dolosives qui leur sont faites par des chefs d’entreprise résulte d’une construction sociale qui imbrique contrainte économique, incertitude sociale (Eckert, Mora, 2008 : p. 31-46), et rapport de genre. En effet, la persistance de cette inégalité entre hommes et femmes (Brugère, 2012 : p. 89-102), atteint son faîte au moment de l’interception des droits des jeunes coiffeuses. Dans les cas relatés, l’acte délictuel relève toujours de l’action d’un patron-homme confronté à des jeunes femmes. Pourtant, ce mode de production si particulier façonne la mentalité des impétrantes. Il est, pour elles, la manière d’entrer dans le ”métier” tant espéré. Elles acceptent l’assujettissement que les chefs d’entreprise leur imposent car celui-ci leur paraît être dans l’ordre ”naturel” des choses. Pour parvenir à leur mise au travail – gratuit – les employeurs utilisent une méthode qui relève d’une variante du chantage à l’emploi. Sa particularité ne réside pas dans une fonction de contrôle de salariés en poste, mais d’intervention en amont d’une relation salariale pérenne et stable. Ici, on use de l’illusion du passage possible au CDI pour employer des filles à qui l’on dénie toute visibilité sociale. Ces dernières n’existent pas dans l’exercice de leur travail car finalement celui-ci demeure clandestin. Aucun salaire, aucune cotisation sociale ne transparaissent dans cette économie délictuelle où, malgré tout, le chef d’entreprise vend aux clients les prestations réalisées par ses jeunes en quête d’un emploi stable. De fait, confrontées à   la nécessité économique, et marquées par l’idéalisation de leur profession, les jeunes coiffeuses découvrent la violence d’un monde du travail, bien loin des discours de leurs formateurs, chargés de la reproduction sociale. Cette violence n’est que le reflet de l’opposition entre les intérêts des uns et les besoins des autres, et n’est pas justifiable par les difficultés économiques des entrepreneurs. Finalement, l’emploi permanent devient l’alibi à une extorsion totale du travail de ces jeunes femmes souhaitant accéder au salariat. Dès lors, ces dernières révèlent leur degré de dépendance économique et sociale en acquiesçant au songe de la main-d’œuvre idéale : celle qui travaille gratuitement.

Notes

  1. http://www.biblond.com/stephane-amaru/2014/02/03/je-travaille-pour-mon-salarie/
  2. Les noms propres cités dans cet article ont été modifiés pour préserver l’anonymat des enquêtés et autres personnes citées.
  3. Alain Joyandet, L’emploi des jeunes, grande cause nationale, janvier
  4. Les stagiaires sont toutes issues d’un cycle de formation CAP ou d’une ”mention complémentaire”.
  5. Les effectifs annuels sont inférieurs à 20 personnes par année de formation
  6. Les personnes interrogées sont des coiffeuses qualifiées, titulaires d’un CAP
  7. Les effectifs masculins sont généralement inexistants ou réduits à l’unité.
  8. Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques
  9. ” Emploi et chômage des 15-29 ans ”, DARES Analyses,
  10. Convention collective nationale de la coiffure et des professions connexes du 10 juillet Étendue par l’arrêté du 3 avril 2007, JORF, 17 avril 2007.
  11. Témoignage de Noémie. Juin
  12. Article L1221-1 du Code du travail : Le contrat de travail est soumis aux règles du droit Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d’adopter.
  13. Témoignage de Noémie. Juin
  14. Diplôme de niveau
  15. DARES, Analyses, n° 021, mars
  16. L’objectif de cette catégorie de contrat est ” de permettre [à leurs bénéficiaires] d’acquérir une qualification professionnelle ou de compléter leur formation initiale par une qualification complémentaire en vue d’accéder à un poste déterminé dans l’entreprise ”
  17. Entretien avec Katia , Ophélie D. (février 2009), Laetitia M., Melissa B. (mai 2010). Anne-Lise K., Rebecca Z, (avril 2012).
  18. ” On veut travailler pour avoir des sous ! ”. Entretien avec Katia , Ophélie D. (février 2009), Laetitia M., Melissa B. (mai 2010). Anne- Lise K., Rebecca Z, (avril 2012).
  19. Contrat à durée indéterminée.
  20. Entretien avec Katia H. (mai 2010).
  21. Article L241-13 du code de la sécurité
  22. Témoignage de Claire, Mai
  23. Témoignage d’Amélie, Janvier
  24. Témoignage de Julie, Janvier
  25. Témoignage de Claire, Mai
  26. Insee première, n°1313, octobre
  27. Source : Pôle emploi/DESP/marché du travail
  28. Les services en 2004, services personnels, Insee, 123-126.
  29. Chiffres clés de la coiffure 2013, édition septembre 2012, Fédération nationale de la
  30. On recense dans les seules régions Ile de France et Provence Côte-d’Azur, respectivement 99 et 130 écoles de Source : Pages jaunes.fr.
  31. Géographie de l’école, 2014, n°11, 82.
  32. Chiffres-clés de la coiffure 2013, édition septembre 2012, Fédération nationale de la
  33. Entretien avec Katia , Ophélie D. (février 2009), Laetitia M., Melissa B. (mai 2010).

 

Bibliographie

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